La "pause" repas

Publié le par Caracole

Aujourd'hui, je mange en même temps que les élèves au self, afin de pouvoir les surveiller et partager avec eux ce grand moment de convivialité que sont les repas collectifs.

Ce n'est pas le cas tous les jours de la semaine: des fois je prends mon repas en dehors des heures de service aux élèves.

L'avantage de manger avec eux: j'ai une heure (au lieu d'une demi-heure) de pause repas.

L'inconvénient: il me faut une heure pour finir mon repas. Il faut en-effet que je me lève régulièrement pour calmer les élèves qui commencent à crier/chanter/courir/danser/jouer avec la nourriture, presser ceux qui ont fini de laisser leur place aux suivants (les chaises étant en nombre limité), etc... Et gérer les éternels impondérables.

Je prends donc mon plateau en début de service, et m'installe dans le réfectoire à une place d'où je peux surveiller l'ensemble des tables. J'entame mon entrée, le festival peut donc commencer.

Je n'en suis pas à la moitié de mon friand au fromage qu'un élève vient me voir. Un petit sixième les larmes aux yeux: il s'est retourné deux doigts en jouant au basket dans la cour et a besoin d'un bandage. Non, l'infirmière n'est pas là. Non, il n'a pas vu d'autre surveillant. Oui, c'est urgent et ça fait très mal.

Je dis donc adieu à mon friand encore chaud, enfile mon calot blanc orné d'une croix rouge et vais rapidement au bureau de la Vie Scolaire (rapidement car je laisse la cantine sans surveillance, même si les agents de service sont là et y participent de toute manière, ce n'est pas leur travail). Je cherche la trousse de premiers secours. Il n'y a pas de bandage. Il y a des compresses, ça fera l'affaire. Il n'y a pas de sparadrap. Il y a du scotch tout con, ça fera l'affaire. Il y a des ciseaux, hourra!

Je retourne à la cantine, enroule les doigts du blessé agonisant (il grimace de douleur) avec des compresses, découpe le sparadrap avec les dents (les ciseaux ne coupaient pas) et finis à l'aide de l'expérience un bandage médical des plus professionnels. L'élève repart les yeux rouges mais avec un grand sourire.

Je finis mon friand froid, et commence ma dinde en sauce déjà tiédasse. Je goûte avec délice aux délicats brocolis vapeur qui l'accompagnent quand une clameur s'élève à quelques tables de moi. Une clameur, ou plutôt devrais-je dire des cris d'horreur. Des élèves se lèvent dans un bond, les yeux écarquillés.

"Diantre! pensé-je. Se pourrait-il que l'harmonie des saveurs du jour, que le fumet doux et enivrant des brocolis vapeur les aient eux-aussi transcendés et qu'ils se soient levés dans un élan d'extase collective devant le sublime qui avait atteint leurs papilles?"

Hélas.

Je m'approche du groupe en "transe": l'un d'eux vient de vomir par-terre. (Oui, l'épidémie de gastro dure de septembre à juin au collège.) Je prends l'élève tout confus et honteux à part, hèle un collègue qui passait non-loin pour qu'il s'en occupe, vais prévenir les agents de service qu'il y a eu un incident, me rassois et essaye de me rappeler que j'avais de l'appétit.

Je finis mon plat de résistance (froid) à peu près tranquillement, et entame le fromage. Au même moment, des élèves débarquent de la cour et font irruption dans la cantine. Ils courent, hurlent, deux se jettent à terre et commencent un combat de lutte quand deux autres parcourent les allées entre les tables pour se servir dans les plateaux des élèves encore attablés. Un peu halluciné et la bouche pleine, légèrement outré devant tant d'incorrection (le repas c'est sacré, un moment hors du temps où le savoir-vivre ensemble s'impose de lui-même selon moi), je me lève, et, le temps de pouvoir parler, les attrape l'un après l'autre par le manteau avant de leur hurler dans les tympans (et avec un doux fumet de camembert) un sermon sur l'utilisation adéquate des différents espaces de l'établissement et sur le vol honteux de nourriture qu'ils commettaient sans aucune forme de discrétion.

Je m'efforce de crier le moins possible au quotidien sur les élèves, parce-que ça leur fait peur, ça alerte tout le monde aux alentours, ça bloque d'emblée toute possibilité de dialogue avec eux et sur le long terme ça deviendrait normal pour eux donc totalement improductif.

Mais quand la bêtise est collective, que les élèves sont excités et qu'il faut agir vite, c'est que le moment est arrivé de faire parler le mégaphone en moi.

Objectif atteint: les élèves repartent dans la cour, mais en pestant tout de même contre ce collège à caractère carcéral.

Je retourne à ma place, en me demandant ce qu'ils diraient si je débarquais avec des amis chez eux au moment du dîner et me servais l'air de rien dans leurs assiettes avant de courir en hurlant autour de la table.

J'ai à peine le temps de m'asseoir que déjà et encore le tumulte m'éloigne de mon assiette. Des élèves sont en train de rentrer dans la cantine par la fenêtre... (Il y a des jours comme ça ...) Je m'approche d'eux sereinement (je ne veux pas qu'un mouvement de panique de leur part en me voyant ne les fasse tomber), les rassemble (ils étaient 5), leur fait dire en quoi ce qu'ils étaient en train de faire était stupide et dangereux, et les avertis des sanctions qui vont suivre (retenue(s)/rapport d'incident/appel fleuri aux parents, peut-être les 3).

Les yamakazis en herbe partis, je circule entre les tables pour calmer un peu les élèves excités par cette agitation, les invitant à savourer la fin de leur repas dans une quiétude quasi-méditative.

J'en fais de même, et je serais parvenu à terminer mon dessert paisiblement si la sonnerie n'avait pas retenti. (Heureusement, le Pion, à force d'expérience, développe des talents hors du commun et sait par-exemple engloutir une barquette de semoule au lait d'une traite s'il le faut.)

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